L’an dernier, Ernesto Dabo a lancé Lembrança, un disque fabuleux enregistré avec des musiciens québécois, mais passé hélas inaperçu ici. En Guinée-Bissau, il en va tout autrement puisque le chanteur-auteur-compositeur y est considéré comme l’un des pères de la chanson. On a même dit que Dabo était le Vigneault bissau-guinéen. Le voici qui retrouve ses complices montréalais pour offrir deux spectacles : ce dimanche à l’église Saint-Barnabas de Saint-Lambert, dans le cadre du festival Classica, puis le 13 juillet au Balattou pour le Festival international Nuits d’Afrique. La découverte est majeure.
Lembrança, qui signifie « mémoire », est un album fluide qui plonge autant dans les traditions du pays que dans la chanson poétique en révélant des hommages, en traitant de justice et de bonne gouvernance, de condition humaine et d’amour.
Musicalement unique, le disque est empreint entre autres de la kora de Zal Sissokho, de la basse de Mario Légaré, du violoncelle de Claude Lamothe, des percussions de Daniel Bellegarde et de celles de Lilison, qui a regroupé des musiciens autour d’Ernesto Dabo.
« J’ai découvert des gens au coeur énorme et qui ont été patients en dépit des différences linguistiques et artistiques. Mais la musique est transversale et nous sommes arrivés à un point d’entente », affirme Ernesto Dabo dans un excellent français.
La voix créole
En 1971, deux ans avant l’indépendance de la Guinée-Bissau, en pleine période de lutte armée pour la libération nationale, trois jeunes artistes militants, dont Ernesto Dabo, forment Cobiana Djazz. Ce groupe annonce un véritable mouvement culturel en se réappropriant la langue créole.
« Le régime colonial portugais faisait tout pour aliéner les populations en leur faisant passer l’idée que leur culture était une culture inférieure », se rappelle Ernesto Dabo.
Avec ses complices, il crée des contenus enracinés dans le folklore du pays et diffusera les idées de la lutte nationale.
« Du jour au lendemain, toute la ville de Bissau se demandait qui nous étions. Cela a provoqué une explosion de créativité. Des jeunes dans tous les quartiers ont essayé de créer des groupes. D’autres ont opté pour la littérature, la peinture ou le stylisme. De ce mouvement, plusieurs ont émergé, dont Lilison et son groupe N’Kassa Cobra. »
Parallèlement, un autre groupe se forme au Portugal avec Ernesto Dabo : Djorson, qui signera M’Ba Bolama, le premier titre enregistré de l’histoire de Guinée-Bissau.
Arrive l’indépendance en 1973, après 400 ans de colonisation. L’artiste raconte :« Dans une colonie, on est tout simplement des indigènes, des “animaux”. Mais quand finalement ta condition humaine est récupérée pleinement face à tout le monde, c’est un sentiment qu’on ne peut décrire. »
Avec les années, Ernesto Dabo a délaissé la chanson au profit du droit international et d’une carrière de haut fonctionnaire dans son pays. « Faire de la musique ne donnait pas à manger et, puisqu’on était militants engagés au service du pays, on s’est sentis obligés de se mettre au travail », résume-t-il. Aujourd’hui à la retraite, il lui reste ce pays de mots et de musiques qu’il est prêt à partager plus que jamais.
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